Hiérarchie sociale
Aucune société humaine véritablement égalitaire n’a jamais existé. Dans les tribus où tous semblent pratiquer l’égalité, (les Aches d’Amériques par exemple), les anthropologues ont découvert que les meilleurs chasseurs, bien que généreux en viande, accumulaient par ailleurs un bien beaucoup plus essentiel : ils avaient davantage de liaisons extraconjugales et d’enfants illégitimes que les chasseurs moins doués. Et leurs progénitures avaient davantage de chances de survivre, parce qu’elle faisait apparemment l’objet d’un traitement de faveur.[1]
Chez les Akas, Pygmés de l’Afrique centrale, où on ne semble pas connaitre de hiérarchie, on retrouve tout de même un Kombeit qui influence subtilement mais fortement les grandes décisions du groupe. Et c’est à eux qu’échoient le meilleur de la nourriture, mais aussi les femmes et les enfants.[2]
La différenciation des statuts avec les cadeaux, la propriété, le mariage et une foule d’autres choses serait universelle chez les humains.[3]
Si nous devons admettre qu’il y a hiérarchie entre les hommes, certains doivent dominer tandis que les autres doivent se soumettre ou sinon défier l’autorité. Pourquoi les perdants continuent-ils de jouer le jeu? Comment se fait-il que le trait de la soumission ait tout de même survécu?
Dans l’environnement ancestral, être trop prompt à se réconcilier après une bagarre, ou de se soumettre aux autres sans raisons valable, pouvait voir s’effondrer son statut et, avec lui, son aptitude globale. Chacun d’entre nous a donc un certain concept de fierté. C’est notre répugnance à la soumission qui en est le moteur.
Mais il n’est pas une bonne stratégie de constamment défendre cette fierté. La soumission peut s’expliquer en prenant un exemple. Prenons le cas d’un poulailler. Un poulet B a manifesté par le passé une nette tendance a vaincre le poulet C, et A avait quant a lui plutôt tendance à dominer B. Le poulet C ne va probablement pas s’essayer contre le poulet A. Chaque poulet s’incline devant celui qui aurait sans doute de toute façon le dessus, et fait ainsi l’économie d’une bataille. Tout gène dotant un poulet de cette peur sélective, qui réduit le temps passée en combat inutile et coûteux, devrait prospérer.
On pourrait dire que ces stratégies (domination-soumissions) tendent vers un point d’équilibre.
Railleries, dédain, mépris et dégoût s’expriment de multiple et différentes façon dans les traits du visage et dans les gestes; et ce sont les même dans le monde entier. Un homme fier manifeste sa supériorité en tenant sa tête et son corps bien raides.[4]
Dans diverses cultures, les enfants baissent la tête, en signe de mortification, après avoir perdu une bataille. L’universalité de telles expressions se retrouvent en nous.[5]
L’homme est sensiblement le rival des autres hommes; il adore la compétition, et celle-ci le conduit à l’ambition qui, trop aisément, le mène à l’égoïsme. Ces facultés font partie de son malheureux héritage naturel. L’énorme ego des hommes est produit par la même force qui a créé la queue du paon : la compétition sexuelle entre mâle.[6]
Imaginez : même les chimpanzés se prosternent souvent et vont même jusqu’à baiser les pieds de leurs maîtres[7]. Ils témoignent donc eux aussi du respect, de la déférence, de la crainte respectueuse, de l’honneur, de la fierté opiniâtre, du mépris, du dédain, de l’ambition etc… Pourquoi les retrouve-t-on dans toutes les cultures ?
La réponse est assez simple : la sélection naturelle s’exerce dans un contexte de hiérarchie des statuts. Elle tente à tout prix d’optimiser l’aptitude de l’individu dans un environnement contingenté par l’altruisme réciproque et la hiérarchie.
La fusion de la hiérarchie et l’altruisme réciproque est le lot quotidien de l’homme. Nos sautes d’humeurs, nos fidèles engagements, nos changements affectifs à l’égard des gens ou des institutions et nombreuses de nos idées sont gouvernés par des organes mentaux forgés par cette fusion.
Chez les primates, les hiérarchies mâles sont instables. Il est toujours possible qu’apparaisse un jeune turc capable de provoquer le mâle dominant, et les mâles dominants passent beaucoup de temps à repérer ces menaces et de les écarter. Les coalitions sociales entre femelles – les amitiés— quant à elles durent souvent toute une vie. Les coalitions sociales mâles seront dépendantes des nécessités stratégiques et dépendront de sentiments de respects et de gratitude entre ces mâles.
Dans la tribu des Navajos, pour avoir la confiance des autres membres et de se voir conféré un certain statut, il faut démontrer des signes de qualification et de dédaigner la simple recherche du pouvoir[8]. Se démarquer en tant qu’agriculteur, chasseur, sorcier, musicien etc. est la stratégie qui fonctionne avec eux. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne cherchent pas le pouvoir, ils le font simplement de façon plus subtil.
Mais à quel point les sentiments de respects ou de déférence envers les autres proviennent de notre fort intérieur? De notre propre volonté? De notre bonne conscience? Surtout si des espèces animales sont aussi capables de démontrer ce genre de comportement? Et surtout, de qui avons-nous hérité les gènes? Car a bien y penser, ce sont les hommes ayant démontré des qualités supérieurs aux autres qui ont eu les meilleurs chances reproductives. Les chefs de presque toutes les tribus du globe parviennent à posséder plus d’une seule femme.[9]
Les être humains sont conçus pour évaluer leur environnement social. Une fois qu’ils ont découvert ce qui impressionne l’entourage, ils le font; sinon, une fois qu’ils ont remarqué ce qui déplaît, ils évitent de le faire.
Les gens veulent éprouver de la fierté et non de la honte, inspirer le respect et non le mépris. C’est donc là le nerf de la guerre dans l’ascension du statut et du succès social.
Il est à noter aussi que dans la course au statut, les hommes grands et forts et les belles femmes auront toujours des chances d’avoir une longueur d’avance. La maîtrise des ressources – c’est-à-dire l’argent – tendra à conserver son attrait.
[1] Trade-Offs in Male and female Reproductive strategies among the Aches, p 282-283 , Kim Hill & Hillard Kaplan, 1988
[2] Sexual Selection and Paternal Investment among Aka Pygmies, Barry S Hewlett, 1988
[3] The common denominator of cultures, p. 89, George P. Murdock, 1945
[4] Expressions, Charles Darwin, 1872
[5] Erectness of posture as an indicator of dominance or success in humans, p.117 Glenn Weisfeld & Jody Beresford 1982
[6] La descendance de l’homme, vol 2 Charles Darwin p. 616
[7] Chimpanzee Politics, Frans De Waal, 1982
[8] Cross-Cultural notes on Status Hierarchies, Freedman 1980 p.336
[9] La descendance de l’homme, vol 2 Charles Darwin p 654-658
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